Islam & République – De l’idéologie islamique française

Islam & République – De l’idéologie islamique française


« Cette analyse du terme din et de toutes ses profondes implications complète encore un peu plus ces démonstrations. Depuis le dix-huitième siècle, l’orientalisme savant occidental avait mis en évidence l’imbrication entre temporalité et spiritualité en islam. Aujourd’hui, pour des raisons de domination politique néo-impériale on cherche à le détruire. Cette inexistence du laïc en islam est si réelle, que les islamologues du vingt-et-unième siècle doivent chercher ou inventer des éléments complètement secondaires, marginaux et/ou hétérodoxes qui n’auront jamais assez de force persuasive, théologique et scientifique pour entraîner une révolution séculière laïque et globale en islam.

Tout cela, les plus perspicaces d’entre eux le savent. C’est pourquoi, ayant abandonné ce projet condamné à l’échec, ces derniers usent d’une nouvelle rhétorique toute aussi ambigüe comme le concept d’« islam républicain ».

Là encore, abus de langage, euphémisme et ineptie : un grand mot pour ne finalement rien dire, et pire, une association qui peut se retourner contre leurs initiateurs. La ruse consiste ici à assimiler le terme républicain à celui de démocratie ou de laïcité. Or le philosophe allemand Emmanuel Kant dans son œuvre Projet de paix perpétuelle nous explique déjà : « Il ne faut pas confondre comme il arrive communément, la constitution républicaine avec la constitution démocratique. »

L’anglais John Locke bien avant lui dans son Traité du gouvernement civil utilisait le terme république avec la précaution de ne pas l’assimiler à démocratie : « … par république j’entends, non pas une démocratie, ni aucune forme de gouvernement, mais n’importe quelle communauté indépendante, ce que les latins désignaient par le mot civitas, dont le meilleur équivalent dans notre langue est république ». [1]

Kant nous propose d’ailleurs une définition intéressante du républicanisme : « …principe politique qui admet la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif »

Définition intéressante, car nous verrons qu’en islam, aucune structure, aucun être humain ou aucune shûra (conseil ou assemblée), ne peut revendiquer la souveraineté absolue et tous les pouvoirs, car ceux-ci appartiennent exclusivement à Dieu. Et plus encore, puisque les pouvoirs exécutifs et législatifs, délégués et relatifs, appartiennent à deux corps distincts dans la théorie générale du droit musulman.

Dès lors, quand Rousseau explique : « J’appelle donc république tout État régi par des lois, sous quelque forme d’administration que ce puisse être : car alors seulement l’intérêt public gouverne, et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est républicain ». [2] Quel musulman peut nier alors que l’islam en tant que système politique n’est pas républicain ? D’après ce que nous venons de voir, personne, ni les musulmans ni même Rousseau. Ce dernier avait déjà souligné à la fin du Contrat Social la cohérence du système islamique comme nous l’avons vu en épigraphe.

Cela est même bien plus profondément légitime, puisque non seulement la république n’est pas la démocratie ni la laïcité, mais seulement la simple division des pouvoirs temporels… C’est ainsi que le pauvre, néanmoins très passionné, Jean-François Bayart, directeur de la recherche au CNRS, s’est fatigué à rédiger près de quatre cents pages ayant pour titre L’Islam républicain, alors qu’il aurait simplement fallu revoir quelques simples et fondamentales définitions du terme république, avant de vouloir supposer certaines inepties occidentalo-assimilationnistes qu’il essaie de démontrer dans son livre. Dès lors, si beaucoup s’interrogent sur la possibilité d’un islam républicain, il faudrait bien sûr tout d’abord s’expliquer et s’entendre sur ce que l’on appelle républicain. Dans le cas contraire, avec une fausse naïveté, nous leur répondrons ce que le français, Pierre-Joseph Proudhon écrivit il y a plus d’un siècle : « Quelle forme de gouvernement allons-nous préférer ? –eh ! Pouvez-vous le demander, répond sans doute quelqu’un de mes plus jeunes lecteurs ; vous êtes républicain. –républicain, oui ; mais ce mot ne précise rien. Res publica, c’est la chose publique ; or quiconque veut la chose publique, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, peut se dire républicain. Les rois aussi sont républicains. –eh bien ! Vous êtes démocrate ? –non. –quoi ! Vous seriez monarchique ? –non… ». [3]

Or avec tout ce que nous venons de voir, le moins que l’on puisse dire est que l’islam s’occupe éminemment de la chose publique, et même plus, la chose publique est à l’intérieur de l’islam… Alors comment donc imaginer la possibilité d’un Islam laïque puisque l’Islam est républicain !? L’islam est une religion civile et religieuse, temporelle et spirituelle, cela ne fait aucun doute, déjà Thomas Hobbes après avoir cité le Prophète expliquait : « … la religion des gentils [non-chrétiens, NDA] était une part de leur organisation politique ». [4]

Pourtant, cette évidence historique ne peut plus être tolérée politiquement à l’aube du nouveau monde qui se bâtit sous nos yeux. Les entreprises d’intoxications intellectuelles s’évertuent donc à faciliter la tâche des politiques impériales. »

Aïssam Ait-Yahya, De l’idéologie islamique française.



[1] John LOCKE, Deux traités du Gouvernement civil, Librairie Vrain, 1997 p 209

[2] ROUSSEAU, Du Contrat Social, Livre II, Chapitre 6

[3] PROUDHON, Qu’est-ce que la propriété ?, Chapitre 5, Partie II, Second paragraphe

[4] HOBBES, Le Léviathan, Première partie (De l’Homme), Chapitre XII (De la religion)